Le dilemme moral
Dans les types de choix possibles au sein d’un Livre dont vous êtes le héros moderne, il y en a un particulièrement intéressant à mettre en œuvre, une sorte de Saint Graal : le dilemme moral.
Creusons !
Un choix d’ordre moral implique nécessairement que le choix fasse appel à des valeurs. Pour que cela génère une hésitation, un conflit, une réflexion chez l’auteur, il faut donc tout aussi nécessairement que ces valeurs soient opposées en sens, par leur nature même, ou opposées en conséquences.
Les choix moraux insolubles opposés ne sont pas compliqués à mettre en œuvre. C’est même une des grosses ficelles de jeu comme « walking dead » : sauver l’enfant ou l’adulte dans un contexte de survie.
Non, ce sont les valeurs opposées en sens qui sont la véritable cerise sur le gâteau. Mais cela suppose que les valeurs humaines sont universelles, c’est-à-dire communes à l’ensemble de l’humanité, mais aussi et surtout, qu’elles sont organisées dans leur relation entre-elles.
Dure tâche qui pourrait nous attendre, impliquant l’ensemble de l’histoire de la philosophie et l’éthique…
Heureusement, cette question de la modélisation des valeurs humaines a intéressé plusieurs psychologues (au sens scientifique du terme) dont le Docteur Shalom Schwartz, professeur de Psychologie sociale à l’université hébraïque de Jérusalem.
Nous vous laissons le soin de lire par vous-même un résumé de son approche sur http://valeurs.universelles.free.fr
Ce qui nous intéresse ici, ce sont les conséquences et l’aide précieuse que cela nous fournit dans l’écriture d’une Aventure Dont Vous Etes le Héros.
La figure 1 est l’approche théorique, la figure 2 montre les changements suite à l’analyse de l’échantillon.
Concrètement, un choix qui fait appel à une « tranche » est proche des tranches adjacentes et opposée à celle qui est en face.
Générer un dilemme moral devient « facile », il suffit de proposer un choix qui oppose 2 tranches opposées !
Par exemple, être amené à choisir entre « renverser un bidon de produits chimiques à côté d’un étang comme l’a demandé le patron » ou « NE PAS renverser un bidon de produits chimiques à côté d’un étang comme l’a demandé le patron »
Dans ce cas, on fait dépendre l’action de 2 valeurs opposées : L’Universalisme, décliné en protection de l’environnement, et le Pouvoir/Réussite, décliné en « réussite professionnelle »
Autrement dit, choisir l’une ou l’autre des propositions implique forcément de sacrifier une valeur fondamentale de tout être humain. Ou tout du moins, lui provoquer un temps d’arrêt, une hésitation qui ne sera pas de l’ordre de l’évaluation unique des conséquences de son choix (aller à gauche ou à droite), mais bien un appel à ce qui est le plus important pour lui, en tant que lecteur, en tant que personne humaine (ma réussite sociale ou ma responsabilité envers le monde), avant d’en estimer les conséquences.
Évidemment, il ne faut pas proposer une alternative tierce qui permettrait au lecteur de s’en tirer à bon compte en préservant les 2 valeurs. Comme dans tout choix, il est toujours possible d’en ajouter 2 de plus : le refus de choisir, et une solution inventée.
En l’occurrence, cela pourrait être :
– fuite par refus de choix : « Vous faites croire que vous êtes malade pour que quelqu’un d’autre se charge de cette tâche »
– bricolage inventif : « Vous prenez sur votre salaire le voyage et les frais de dépôt du bidon toxique dans un centre de traitement spécialisé »
Non, le choix moral doit rester « sec », à moins évidement que le but soit de torturer le lecteur sur sa lâcheté (refus de choisir) ou sa capacité d’initiative (inventer une solution tierce)
Torturer le lecteur.
Là où cela devient 2 fois plus amusant pour l’auteur, c’est qu’il va être alors possible de subtilement générer de la culpabilité chez le lecteur dans la suite des événements.
Autrement dit, ce type de choix permet en premier lieu de plonger le lecteur dans un choix globalement insoluble et particulièrement vif, de faire appel à sa hiérarchie des valeurs. Mais en plus, comme il est obligé de choisir pour poursuivre son histoire, il va être possible de lui en faire assumer profondément les conséquences. Directement, certes, mais aussi indirectement, c’est-à-dire sur le plan de sa propre structure de valeur. Il va être possible de le culpabiliser de son choix, de le rendre mal à l’aise avec son choix, même si les conséquences dans le texte et la trame de l’histoire lui sont favorables !
Ainsi, dans la branche où le lecteur a choisi de vider le bidon, il sera amusant de parsemer le récit de petites allusions du genre « A la télé passe un reportage sur les plages engluées de pétrole suite au naufrage du ….etc. », bref, toutes les allusions aux problématiques d’universalisme auront un retentissement plus important chez le lecteur. Ainsi, même s’il est fier d’avoir eu une prime dans son boulot, il y aura une amertume fugace, mais bien présente.
Inversement, s’il a choisi de ne pas verser le bidon, il sera facile de générer des saynètes du genre « A la télé passe un reportage sur la misère des familles endettées ….etc. », ainsi, même s’il sera fier de lui vis-à-vis de l’humanité, il restera là aussi une certaine amertume.
Le dilemme moral est difficile à mettre en place, mais il en vaut le coup !
Des exemples (pas très subtils, mais qui ont le mérite de bien montrer le principe) :
- – Aller à une réunion de famille pour le baptême d’un lointain cousin ou aller au super weekend saut en parapente (Tradition contre Stimulation)
- – Aller à une soirée avec des potes ou faire un repas romantique (Securité : Appartenance sociale Contre Autonomie : Vie Privée)
- – Aider un ami à un déménagement ou aller se balader. (Bienveillance : Serviable Contre Hédonisme : se faire plaisir)
- Etc.